Quand le théâtre fait son cinéma : Roméo + Juliet de Baz Lurhmann (1996)
1.
Présentation
En 1996, le réalisateur
australien Baz Luhrmann dévoile son film d’auteur et indépendant « Romeo+Juliet »
qui n’est autre que l’adaptation cinématographique, plus ou moins fidèle, de la
tragédie théâtrale du légendaire William Shakespeare. L’histoire est
connue de tous et toutes : malgré la haine et la rivalité qui
dévorent les Montaigu et les Capulet, Roméo et Juliette bravent les interdits
de leur famille en tombant éperdument amoureux. Pure folie qui ravivera les
tensions et conduira les amants à destin funeste. Ce film fait partie de la Trilogie
du Rideau Rouge avec les deux films musicaux, Ballroom Dancing
(1993) et Moulin Rouge (2001). Ce n’est pas une trilogie au sens traditionnel
du terme étant donné qu’il n’y a aucun lien entre les différentes histoires. Ce
qui les lie, c’est une technique de réalisation spécifique qui a pour nature la
présence exacerbée de la théâtralité.
2.
Analyse
En adaptant l’œuvre
originale sur un autre support, un autre médium, Baz Luhrmann apporte une
nouvelle interprétation, un nouveau regard qui en fait une œuvre nouvelle. Comment s’opère
ce nouveau regard ? Par l’esthétique postmoderne. En effet, Romeo+Juliet
est un film truffé de caractéristiques postmodernistes.
Selon Jameson,
le postmodernisme cherche à briser, à effacer le fossé culturel qui oppose l’art élitiste
et l’art populaire : Luhrmann favorise cet effacement dès lors
qu’il fait coïncider un classique du théâtre avec un décor violent et défavorisé
du XXe siècle. Par exemple, en remplaçant le chœur par une télévision, objet de
grande consommation et diffusion, Baz Luhrmann sous-entends que l’œuvre de
Shakespeare est accessible à tout le monde et n’est pas réservée à une élite. L’usage
de la citation
est présent : le texte original est respecté à la lettre bien que des
découpages ont été effectués afin de garder les moments marquants qui
entretiennent le mythe de cette idylle (exemples : les répliques de
la scène du balcon sont répétées mot pour mot, le chœur est dans son
intégralité déclamé par une voix-off). Cela permet d’actualiser la pièce
pour un public moderne tout en conservant le langage poétique de Shakespeare selon
Florence Chéron[1].
Jameson mentionne également le pastiche comme caractéristique
postmoderne. Selon lui, « le pastiche est l’imitation d’un style
idiosyncrasique »[2] et n’est pas « incompatible
avec un certain humour, ni détachée de toute passion »[3] car les producteurs
culturels ont un appétit, une addiction pour le passé. En ce sens, le film de
Luhrmann est un pastiche, un vibrant hommage : à l’univers de Shakespeare
(outre le texte, des enseignes publicitaires renvoient à des pièces [Le
marchand de Venise est devenu Le marchand de Vérone] ou des
personnages [Prospero]), au théâtre lui-même (un théâtre démoli sur la
plage/un panneau indiquant le Globe Theather, célèbre théâtre) ou bien encore,
les genres cinématographiques comme le western-spaghetti (les
santiags/gros plan sur les regards défiants/les duels au pistolet). Concernant le syncrétisme
esthétique : Luhrmann mélange les genres
(tragique/comique/réalisme/burlesque), produit des anachronismes, joue avec le
kitsch, juxtapose des styles musicaux variés (morceaux pop, partitions
célèbres, chœurs religieux) et parvient à faire émerger d’autres liens au moyen
de plusieurs sources différentes. Cela rejoint l’idée de Jameson : « la
différence met en relation »[4].
On retrouve aussi une
sorte d’hommage
ironique sans forcément tomber dans la parodie : les
codes des différents genres cinématographiques exploités dans le film sont
parfois exacerbés par des effets burlesques qui assurent un rôle comique et
dédramatisant [5]
(les moments romantiques, le Bal et ses costumes excentriques, les références
clichées au Western).
Pour Walter Benjamin,
« transporter la reproduction dans des situations où l’original
lui-même ne saurait jamais aller » [6] entraîne la dégradation de
l’aura, de l’authenticité de l’original. Pour lui, « tout ce qui
relève de l’authenticité échappe à la reproduction »[7]. Il est vrai que réadapter
un texte de 1597 en 1996 enlève le hic et nunc de l’œuvre originale,
néanmoins l’adaptation au cinéma permet de mettre en lumière des choses non
visibles, impossibles au théâtre (montage, décors fastueux, effets spéciaux,
gros plan sur les émotions) et crée une nouvelle essence. Maxime Labrecque
estime que : « ce sont deux langages, deux modes d’expression
et deux contextes de réception différents. Résultat : si la même histoire passe
d’un média à un autre, il est impossible de prétendre à la fidélité. »[8].
Baz Luhrmann est
entouré de la même équipe pour tous ses projets. Son équipe et lui, partagent
les mêmes valeurs et les mêmes conventions au fil des années afin de pouvoir
produire un style visuel saisissant et reconnaissable grâce à des mélanges
hétéroclites. Romeo+Juliet, malgré quelques critiques, a rencontré un
vif succès grâce aux conventions respectées mais aussi aux éléments novateurs. Ensemble,
ils rejoignent les Mondes de l’art de Becker.
3.
Réflexions sur le choix
D’aussi loin que je
m’en souvienne, j’ai toujours été passionnée de littérature et de cinéma. En y
réfléchissant, mon entourage familial m’a fortement influencé et m’a transmis un bon nombre de
références culturelles en tous genres. Romeo+Juliet a permis à Léonardo
DiCaprio d’être découvert par le grand public. Il a décroché un an plus tard le
rôle de Jack dans Titanic, un des plus gros succès de l’industrie
cinématographique. Il est devenu une star, une icone et j’ai grandi avec ses
films. Cet acteur a fortement influencé mes goûts et encore à l’heure actuelle.
Pour Pierre Bourdieu,
la famille est un des lieux par excellence de l’accumulation du capital sous
ses différente espèces et de sa transmission entre les générations. Je
pense que l’école en fait également partie. Le cercle familial et
l’institution scolaire sont deux champs différents qui s’interpénètrent et
participent ainsi à mon capital culturel (connaissances, compétences,
intérêts, …). Pierre Bourdieu estime que l’habitus (manières d’être, de
penser, de faire communes à des personnes d’un même groupe social) est à
l’origine de nos choix et goûts esthétiques. Même si j’ai une part de
libre-arbitre, ce groupe social qui est ma famille (ainsi que l’école) a
influencé et influence encore parfois mes goûts, choix, décisions. L’art, le
cinéma, la littérature et la musique prennent une place prépondérante dans ma
vie et je suis reconnaissante pour cet héritage qui est une nourriture
intellectuelle et culturelle. Je rejoins ainsi ce qu’à dit Baz
Luhrmann :
« L'art et la vie ne peuvent pas être
séparés, ils se nourrissent mutuellement et les décisions créatives sont basées
sur ce qui rendra la vie riche et ce qui enrichira la narration ».
4. Bibliographie
-
Busari, S. (s. d.). Luhrmann
brings down Red Curtain with new epic - CNN.com. CNN. https://edition.cnn.com/2008/SHOWBIZ/Movies/06/26/baz.luhrmann/index.html
-
Demaret, B.
(2004). Les adaptations cinématographiques de « Roméo et
Juliette » : Franco Zeffirelli et Baz Luhrmann ou l’enrichissement de
l’adaptation. Études théâtrales, 2(2-3), 231-232. https://doi.org/10.3917/etth.031.0231
- Johae,
A. (2016). "Thy drugs are quick": Postmodern Dissolution in Baz
Luhrmann's "Romeo Juliet". Literature/Film Quarterly, 44(2),
106-119. Retrieved May 24, 2021, from http://www.jstor.org/stable/45037962
-
Matterne,
V. (2013, août). La théâtralité au cinéma, approche comparée. Analyse
du film « Romeo +Juliet » (1996) de Baz Luhrmann. https://www.academia.edu/23324098/_La_th%C3%A9%C3%A2tralit%C3%A9_au_cin%C3%A9ma_approche_compar%C3%A9e_Analyse_du_film_Romeo_Juliet_1996_de_Baz_Luhrmann_TFA_Master_II_
-
Chéron,
F., « Romeo+Juliet de Baz Luhrmann, une ré-imagination postmoderne »,
Shakespeare en devenir [En ligne], II. Adaptations cinématographiques,
Shakespeare en devenir, N°14 - 2019, mis à jour le : 28/12/2019, URL : https://shakespeare.edel.univ-poitiers.fr:443/shakespeare/index.php?id=1739.
- Labrecque, M. (2016). L’adaptation
cinématographique : regard sur une pratique polémique – Séquences : la revue de
cinéma –. Érudit. https://www.erudit.org/fr/revues/sequences/2016-n302-sequences02528/82186ac/
- Frederic, J. (2007). Le
Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif (catalogues
d’exposition). ENSBA.
- Benjamin, W. (2013). L’œuvre d’art à
l’époque de sa reproductibilité technique - pbp n°936 (Petite Bibliotheque Payot). Payot.
[1] Chéron, F., « Romeo+Juliet de Baz
Luhrmann, une ré-imagination postmoderne », https://shakespeare.edel.univ-poitiers.fr:443/shakespeare/index.php?id=1739.
[8] Labrecque, M. (2016). L’adaptation cinématographique : regard sur une pratique polémique
–
https://www.erudit.org/fr/revues/sequences/2016-n302-
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